Papusza, muse et poétesse tzigane polonaise
- restonssimples
- 18 mars
- 4 min de lecture

Papusza, "la poupée", est le nom qui fut donné à Bronisława Wajs. Jeune enfant tsigane, née en 1908 dans un campement nomade à l’Est de la Pologne, situé aujourd’hui en Ukraine.
Elle grandit au sein d'une famille appartenant au groupe des « polska roma », le plus grand et l'un des plus anciens sous-groupes ethnolinguistiques roms vivant en Pologne.
Enfant, malgré le regard méprisant de sa communauté, elle apprend à lire et à écrire, d'abord auprès d'enfants éduqués, ensuite près d'une femme juive, en échange d'une poule qu'elle lui ramenait tous les jours.
Tout comme les membres de sa famille, elle est musicienne et joue notamment de la harpe. Elle chante, danse, joue de la musique, et improvise de nombreuses épopées. Elle s'impose naturellement comme poétesse, sans chercher à en tirer le moindre revenu malgré son talent. Pour subvenir à ses besoins, elle lira la bonne aventure.
« Je ne suis pas une poétesse. Je suis une fille du dessous des buissons. Là où brille la lune ; là où il y a le feu lointain, là où il y a des castagnettes, là où il y a des femmes tsiganes dans la nuit ».
Rescapée des massacres de la guerre (20 000 Tziganes fusillés en même temps que les Juifs), dont elle échappe à la mort de justesse, elle devra encore affronter la vengeance ukrainiennes nationalistes et anti-polonaises de l'époque. Ses poèmes se feront le témoignages du chaos quotidien, tout en sublimant la forêt et les éléments de la nature, le refuge de son peuple en errance.
Vers les années 1950, comme toute sa communauté, elle sera sédentarisée de force par le régime communiste. C'est à cette époque qu'elle rencontre un jeune poète polonais rebelle, Jerzy Ficowski, qui fera publier de nombreux textes de Papusza. Elle sera ensuite rejetée par les siens, qui verront en elle une trahison et une volonté de révéler les secrets des tsiganes .
Elle finira sa vie de pauvreté et d’isolement, et meurt le 8 février 1987, âgé de 78 ans, d’une façon misérable dans un taudis.
Papusza avait ce talent si particulier d'improviser des poèmes et des chants spontanément, tout en jouant de la musique. Ce trait de personnalité n'est pas sans rappeler les ménestrels, poètes itinérants du moyen âge. Papusza n'avait d'ailleurs pas pour intention de divulguer ses poèmes, c'est sa rencontre avec Jerzy Ficowski qui la poussa à les mettre par écrits. Pour elle, qui savait que son peuple finirait par être anéantit, c'était une manière de continuer à faire entendre leur voix, pour qu'ils ne soient jamais oubliés. Et ce fut réussi, car bien qu'oublié à la fin de sa vie, les tziganes d'aujourd'hui se sont totalement réppaopriés son oeuvre, ses poèmes sont de plus en plus traduits, et un film sur sa vie a été réalisé !
"O terre, O forêt,
Je suis votre fille.
Bercée au son des arbres, rythmée au bruit du sol.
La rivière me transforme telle une mélodie
dans une chanson tzigane.
Je rejoins les montagnes,
dressées haut dans le ciel,
J'ai mis ma plus belle jupe,
cousue avec des fleurs,
et j'exalte, avec toutes mes forces,
cette terre polonaise, rouge et blanche!
Mais terre tu es en larmes!
criblée par la douleur.
Mais terre , ton rêve pleure!
tel un petit tsigane
venant naître sur ta mousse.
O terre, pardonne moi de t'avoir blessé
par mes chansons amères,
par la souffrance tsigane.
Faisons de nous deux un seul corps,
après tout,quand je mourrai,tu m'accueilleras !
Terre noire de la forêt,
sur toi j'ai grandi,
dans ta mousse je suis née.
Au milieu de toutes ces créatures,
qui ne cherchaient qu'à mordre
mon jeune corps;
o terre, tu prends dans ton sommeil,
mes larmes et mes chansons"
Papuszka
Extrait de l'article Papusza, la voix d'un monde perdu, Par Jean-Yves Potel :
"La vie et l’œuvre de Papusza nous intéressent, aujourd’hui plus que jamais. Elles incarnent un certain destin des Tsiganes en Europe, à la fois la puissance d’une culture et d’une tradition, et la tragédie d’une destruction et d’une perte. On y trouve d’abord une atmosphère. Le monde de Papusza est présent dans tous ses textes, avec la forêt, le soleil, les routes, les rivières et les lacs, les oiseaux qui emportent ses chants. Il nous charme. Elle y est très attachée. Sa famille y a voyagé pendant des générations, travaillant et jouant de la musique pour les « Seigneurs » polonais. Un Wajs aurait même joué de la harpe à la cour royale ! Libres de circuler, les Polska Roma côtoyaient sur leur vaste territoire, outre des paysans polonais asservis, des Juifs, des Ukrainiens, des Russes et d’autres voyageurs. C’était leur terre, leur « pays » a souvent dit Papusza : « Terre des bois noirs, ô ma terre, / tu es notre mère à tous, / mère riche et belle [4]. » A ceux qui mettaient en doute cet attachement, Ficowski répondait : « Papusza était une Polska Roma, elle était liée depuis des générations au pays de sa naissance et de ses ancêtres. (…) Elle n’a jamais voyagé hors de Pologne, son expérience et sa mémoire ne concernaient que ces territoires polonais [5]. »
Ce monde était menacé. Elle l’a écrit en forme de testament : « Ils disparaîtront tous, ils mourront, / et rien ne restera. » Le monde dans lequel elle a grandi était voué à la destruction, et il a été détruit. Elle le savait, aussi a-t-elle voulu, avec ses chants et ses poèmes, « laisser quelque chose aux hommes. » Elle s’est adressée à son « frère », lui a offert « sa vie, ce qu’elle possédait, / tout ce qu’elle a composé dans sa tête. » Elle le lui a donné pour qu’il se souvienne qu’une fille tsigane et pauvre, « était sortie du berceau tsigane », et lui avait dit : Sache que j’ai « tout écrit pour toi [6] ». Cette apostrophe résume la vocation de Papusza. Elle est la voix d’un monde perdu, elle s’adresse à un autre, à un frère qui est universel. C’est vous, c’est moi, c’est nous tous. Elle nous parle du sort des Tsiganes en Europe."
Pour en savoir plus :
podcast sur France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sur-les-docks-14-15/papusza-liseuse-de-bonne-aventure-2492056
La bande annonce du film sur Papousza (peut connu en France) : https://youtu.be/qMKBdDG_8is?si=oGyG2qNDyG4r3RlS
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